La guerre russo-ukrainienne remet en question la place de l’Amérique latine dans le jeu des nations. Les réactions sont loin d’y être unanimes, et entament l’unité du sous-continent, déjà fragilisé par des crises multiples.
Dossier / Persistance de l’Ukraine
La guerre russo-ukrainienne remet en question la place de l’Amérique latine dans le jeu des nations. Les réactions sont loin d’y être unanimes, et entament l’unité du sous-continent, déjà fragilisé par des crises multiples.
L’invasion russe en Ukraine a provoqué un profond bouleversement international, ainsi qu’un réagencement des positions diplomatiques et stratégiques pour de nombreux États de la planète. L’Amérique latine n’est pas en marge de cette dynamique. Les positions des États du continent ont fait l’objet de profondes réflexions, questionnements, et parfois de virulentes critiques, notamment en raison d’une bienveillance à l’égard de la Russie. Bien que l’Amérique latine soit souvent reléguée à une position périphérique dans le jeu international, cette guerre fait pour autant écho à un certain nombre de principes et normes internationales pour lesquels les États latino-américains ont été historiquement des contributeurs de premier plan : le non-usage de la force, la non-intervention, l’interdiction des menaces nucléaires. La guerre russo-ukrainienne ouvre donc des questionnements fondamentaux sur la place qu’occupe l’Amérique latine dans le jeu des nations et la compétition pour le pouvoir global.
Cette interrogation est d’autant plus centrale que l’Amérique latine a, dans la période récente, vu son rôle et sa place sur la scène internationale mise en question, en conséquence d’instabilités politiques répétées. D’un côté, certains ont théorisé l’insignifiance (ou irrevelancia) de l’Amérique latine (Malamud et Schenoni 2021). En des termes plus nuancés, l’ex-diplomate chilien, Jorge Heine, a évoqué plutôt un risque de glissement de la « périphérisation » à la « marginalité internationale » (Heine 2021). Quels que soient les termes employés, ces diagnostics sont reliés à une conception classique de l’Amérique latine comme occupant une place secondaire dans les affaires internationales. Cette conception d’une position périphérique a été renouvelée pendant la crise sanitaire, les États de la région ayant été contraints de s’approvisionner à l’étranger pour obtenir des vaccins, des appareils médicaux, plaçant le continent au cœur d’une diplomatie sanitaire orchestrée par des puissances extérieures (Parthenay 2022 ; Malacalza et Fagaburu 2022). D’un autre côté, on pourra constater que les échanges avec la Chine ont augmenté de manière spectaculaire dans les dernières années, que les États-Unis ont affiché lors du dernier Sommet des Amériques (juin 2022) la volonté de renouer les liens avec le continent, que la Russie y a ou avait trouvé (avant l’invasion) une sorte de « refuge diplomatico-stratégique », et que l’Union européenne (UE) sous présidence espagnole se prépare à faire des relations avec l’Amérique latine une priorité. Dans un contexte ambigu qui voit le continent latino-américain être placé à la périphérie, mais dans le même temps être de plus en plus courtisé, la guerre russo-ukrainienne a indéniablement contribué à rebattre les cartes diplomatiques.
Si, par le passé, la convergence des positions diplomatiques latino-américaines a permis au continent de peser dans les affaires internationales (et notamment via l’élaboration des principes généraux du droit international), il apparaît aujourd’hui que ces mêmes États n’avancent plus aussi unis. En effet, les prises de position vis-à-vis de l’invasion russe en Ukraine ne sont pas homogènes et, ce, dès 2014 lors de l’annexion de la Crimée. Dans cette première séquence, la résolution n°68/262 de l’Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU), du 27 mars 2014, a vu une dispersion des votes entre les États latino-américains. Si la Colombie, le Costa Rica, le Mexique et le Pérou avaient voté en faveur d’une condamnation de la Russie, l’Argentine, le Brésil, l’Équateur s’étaient abstenus. La Bolivie, Cuba, le Nicaragua et le Venezuela avaient quant à eux rejeté la résolution, en conformité avec leur très grande proximité vis-à-vis de la Russie de Vladimir Poutine et d’une stratégie d’opposition ou de contestation systématique du multilatéralisme. Les votes de cette résolution ont largement préfiguré les divergences contemporaines observées après le début de la guerre en Ukraine.
De manière générale, il a fréquemment été fait mention d’une attention distante des États latino-américains face à cette guerre initiée le 24 février 2022 justifiée par leur éloignement géographique. La faiblesse de l’engagement militaire (absence d’envoi d’armements) et symbolique (absence de sanctions) face à l’invasion russe tendrait à confirmer une hypothèse qui, pourtant, masque une réalité plus complexe. Cette guerre aux portes de l’Europe intervient dans le prolongement immédiat d’une crise sanitaire globale qui a très durement affecté l’Amérique latine, à la suite d’un cycle de crises politiques aux racines variées (économiques, sociales, institutionnelles) (Parthenay 2020). Entre autres situations, au moment où la guerre survient, le Chili n’a toujours pas achevé son processus constituant né des soulèvements populaires de 2019, le Venezuela et le Nicaragua sont toujours embourbés dans des dérives autoritaires (parfois sanglantes) et le Pérou n’est toujours pas parvenu à stabiliser politiquement le pays en dépit des élections de 2021. D’autre part, depuis le début des années 2000, le continent voit s’accroître la présence d’acteurs extrarégionaux, en particulier la Chine et la Russie, dont les activités contribuent à reconfigurer les rapports de forces internationaux dans la région. Nous revenons sur cette double trajectoire.
Dans la dernière décennie, l’Amérique latine a connu une recrudescence de crises de différentes natures. Depuis les contrecoups de la crise économique et financière globale (2008-2009), à la recrudescence des coups d’État ou ruptures d’ordre constitutionnel (Honduras 2009, Paraguay 2012, Venezuela 2015, Brésil 2016), de soulèvement populaires (Chili, Équateur, Colombie 2019) ou troubles post-électoraux (Honduras 2017, Bolivie 2020), en passant par la multiplication des affaires de corruption (Lava Jato, Odebrecht), les démocraties latino-américaines ont été mises à rude épreuve. Elles sortent fragilisées de cette décennie, affaiblies sur le plan institutionnel et en proie à une délégitimation constante par les citoyens. Dans un tel contexte, certains grands États du continent ont été contraints de réviser à la baisse leurs ambitions diplomatiques. Ce fut le cas du Chili (sur les questions relatives au changement climatique), du Pérou (face à sa volonté d’insertion économique globale) ou encore du Brésil (face à la quête du statut de « puissance globale »), trois États qui pèsent traditionnellement dans la formulation des équilibres diplomatiques de la région. C’est dans ce contexte précaire que la pandémie est survenue, enfonçant encore davantage les économies latino-américaines, augmentant la pauvreté et laissant les populations face à une vulnérabilité croissante. Le spectre de la dépendance face à l’urgence sanitaire a contribué à accélérer les recompositions diplomatiques en cours, avec notamment un fort rapprochement de l’Argentine et du Brésil vis-à-vis de la Russie, ou bien des États centraméricains vis-à-vis de la Chine.
Cette décennie de fragilisation politique et socio-économique (on parle de « décennie perdue », comme dans les années 1980) coïncide avec une prise de distance marquée des États-Unis vis-à-vis des États du continent (une distanciation qui remonte à 2001 sous G.W. Bush). Plus récemment, les volte-face nées des alternances politiques entre républicains (sous l’administration Trump) et démocrates (Biden) se sont additionnées à cette négligence vis-à-vis du continent. À titre d’exemple, le Plan Biden pour l’Amérique centrale (1 milliard de dollars d’aide au développement annoncé en janvier 2014) a été dans un premier temps annulé dès l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, puis réactivé avec l’élection de Biden en 2021 (et augmenté à 4 milliards de dollars, mais toujours non mis en œuvre). C’est cette distance doublée d’incertitude qui constitue une fenêtre d’opportunité pour des puissances extrarégionales, telles que la Chine et la Russie. Étendre leur présence en Amérique latine sert autant à défier les États-Unis qu’à fidéliser des soutiens pour la promotion d’ordre(s) alternatif(s) (la « Route de la soie » développée par la Chine ; l’aspiration à la multipolarité par la Russie). Bien que la Chine et la Russie formulent des objectifs et stratégies différentes en Amérique latine (plutôt économiques pour la première, stratégico-militaires pour la seconde), ces deux puissances se rejoignent dans une contestation commune vis-à-vis des États-Unis et de l’ordre international libéral. Leur présence dans le continent nourrit ainsi une ligne de fracture entre un présumé « ordre occidental » (western order), dominé par une orientation libérale et de marché - et des dynamiques alternatives qualifiées diversement de post-occidentales (post-western) ou non-occidentale (non-western). D’autres lignes de fractures sont matérialisées à travers l’usage de la notion de « Sud Global », traduisant des divisions en matière de développement social ou économique ou de responsabilités dans les changements globaux en cours (le climat notamment).
Il est donc nécessaire de comprendre que ce qui s’offre aux États latino-américains n’est pas qu’une diversification des puissances extrarégionales présentes dans le continent, mais également une révision possible des positionnements face à de nouvelles lignes de fracture globale. Et c’est dans ce contexte très particulier qu’a éclaté la guerre russo-ukrainienne et que la possibilité a été donnée aux États du continent d’affirmer des positions singulières sur la scène internationale à travers les enceintes multilatérales.
Dans un tel contexte, les positions diplomatiques des États latino-américains se sont montrées divergentes face à la guerre. En l’absence de sanctions contre la Russie (seule l’entreprise Antel en Uruguay a suspendu la chaîne Russia Today), les États ont été amenés tout d’abord à exprimer des positions officielles par différents moyens et canaux : 1) les déclarations officielles par les autorités nationales (Présidents et/ou ministres des Relations extérieures) et 2) les votes dans les enceintes multilatérales (Conseil de Sécurité, Assemblée Générale, et Conseil des Droits de l’Homme) et/ou régionales (Organisation des États américains, OEA).
Au titre des déclarations officielles, la plupart des leaders de la région ont réagi via leur compte twitter aussitôt après l’invasion [1]. Certains condamnent de manière radicale les « attaques contre l’Ukraine » (Colombie), « l’invasion » (Mexique, Guatemala), l’usage de la force et la violation de la souveraineté ou intégrité territoriale de l’Ukraine (Costa Rica, Équateur, Chili, Paraguay). L’Uruguay « refuse les actions contraires au droit international ». L’Argentine « déplore profondément l’escalade belliqueuse » et la « situation générée en Ukraine », Panama « les évènements récents ». Bien qu’opposées à la guerre, la diversité des formulations employées traduit un engagement diplomatique différencié. En parallèle, le Brésil et le Pérou affichent une neutralité offrant un soutien aux ressortissants brésiliens et péruviens en Ukraine, mais ne s’exprimant pas sur le fond du conflit. Au Brésil, on verra par ailleurs émerger des voix dissonantes entre la présidence et les diplomates de carrière. Dans ce registre, d’autres États restent silencieux affichant une neutralité de facto qui trahit une bienveillance à l’égard de la Russie (Cuba, Bolivie, El Salvador). Enfin, le Venezuela et le Nicaragua soutiennent explicitement la Russie, Daniel Ortega rappelant le « droit de se défendre » de Moscou et le Venezuela « refusant l’aggravation de la crise en Ukraine produit de la rupture des Accords de Minsk par l’OTAN ». À l’heure où la guerre éclate, les voix latino-américaines sont donc loin d’être homogènes et convergentes et exposent la très grande variété des intérêts diplomatiques en jeu.
Ces positionnements pluriels s’expriment également au sein des instances multilatérales. Plusieurs résolutions ont été introduites notamment dans les organisations onusiennes, obligeant les États à formaliser leur position (voir tableau). La première résolution votée le 2 mars 2022 (Aggression against Ukraine) après l’invasion russe voit se dessiner les premières coalitions fixant certaines lignes rouges de principe, notamment en lien avec le non-usage de la force. La majorité des États latino-américains vote en faveur d’une condamnation de l’agression de la Russie. Parmi ceux-ci, le Brésil, alors membre non permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies (CSNU), accompagne cette condamnation. Toutefois, la position brésilienne demeure ambiguë, car au-delà de cette résolution, le pays s’abstient de condamner la Russie à l’occasion d’une autre résolution présentée au sein de l’Organisation des États américains (OEA) le 25 février (The Situation in Ukraine). Il faut comprendre ici les motivations stratégiques différenciées de l’État brésilien en fonction des espaces dans lesquels les positions sont exprimées. Au sein du CSNU, l’intérêt prioritaire sera plutôt d’accompagner de manière constructive le travail multilatéral et éviter les reproches ou stigmatisations de la part des homologues du CSNU [2] alors qu’au sein de l’OEA, le vote reflète plus directement les intérêts diplomatiques portés par le pays. Avec cette première résolution onusienne, un autre bloc se dessine, celui du soutien à l’égard de la Russie, composé de la Bolivie, de Cuba, du Nicaragua et du Salvador. Il faudra sur le fond y ajouter le Venezuela, mais l’État n’a pas le droit de vote en raison du non-paiement de sa contribution aux Nations Unies. Ces États ont développé d’étroites relations politiques avec la Russie (et la Chine) pour compenser les prises de distances d’autres États (en premier lieu les États-Unis) justifiées par les dérives autoritaires et/ou illibérales de ces régimes.
Le 7 avril 2022, une nouvelle résolution (Suspending Russia’s membership in the UN-HRC) est présentée, visant la suspension de la Russie du Conseil des Droits de l’Homme. Deux constats méritent d’être mis en lumière. D’une part, contrairement aux critiques formulées (interprétant le vote comme un soutien à la Russie), le Mexique et le Brésil se sont abstenus, reflétant une posture historique des États latino-américains : la promotion du multilatéralisme et la prédominance du dialogue. Le Mexique et le Brésil (ne pouvant s’opposer frontalement à d’autres alliés par un vote « contre ») se sont surtout refusés à soutenir la demande d’exclusion de la Russie de cet organe onusien partant du principe qu’une telle exclusion limiterait les opportunités de dialogue et de négociation. D’autre part, cette résolution marque une scission confirmée entre les petits États insulaires composant la CARICOM (Communauté caribéenne). L’abstention de la Barbade, de Saint-Christophe-et-Nevis, de Saint-Vincent-et-les-Grenadines et de Trinidad-and-Tobago consolide une fragmentation déjà engagée dans le cadre de la crise vénézuélienne (Parthenay 2018).
En fin de compte, au-delà des variations, les votes multilatéraux définissent quatre types de positions diplomatiques face à la guerre (Sanahuja, Stefanoni et Verdes-Montenegro, 2022) : 1) une condamnation forte (entre autres, Chili, Colombie, Costa Rica), autant d’États qui sont par ailleurs proches des États-Unis ; 2) une neutralité accompagnée d’une condamnation de l’invasion russe (Brésil, Mexique) ; 3) une neutralité accompagnée d’une légitimation des positions russes (El Salvador) ; 4) un soutien ferme de la Russie (Bolivie, Cuba, Nicaragua, Venezuela).
En dehors des implications directes de la guerre, ces positionnements multilatéraux sont riches en enseignements concernant les formules variées de coalition élaborées par les États du continent. En effet, on remarque que l’Amérique latine ne parle plus d’une seule voix et la dislocation des organisations régionales classiques a accentué cette fragmentation du continent. Aujourd’hui, l’Amérique latine peine à porter des positions convergentes à travers le GRULAC (Groupe Latino-américain et caribéen, qui n’est plus qu’un groupe utilisé à des fins de procédures onusiennes : les élections internes) ou bien la CELAC (Communauté des États latino-américains et caribéens), ou encore à travers des sous-groupes tels que le SICA (Système d’Intégration Centraméricain), le MERCOSUR (Marché Commun du Sud), ou encore la CAN (Communauté Andine des Nations). Pour autant, cela ne signifie pas qu’il n’existe plus de « coalitions latino-américaines », car celles-ci sont essentiellement en voie de recomposition. On l’observe dans d’autres espaces multilatéraux ou négociations internationales (avec des groupes comme l’AILAC – Alliance Indépendante d’Amérique Latine et Caraïbe – ou le CLAM – Core Latin American Group). Dans le cadre de la guerre russo-ukrainienne, des logiques de regroupement dites de « like-minded states » sont apparentes et traduisent la recomposition des intérêts nationaux par enjeux (éviter les stigmatisations), par lignes de principe (défense du multilatéralisme) ou par lignes de conduite autour de normes internationales (non-usage de la force).
Résolutions de la guerre russo-ukrainienne et votes latino-américains et caribéens
In favor | Against | Abstain | Absent | ||
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25 février 2022 (S/2022/155) |
Deploring Russia’s aggression against Ukraine | Mexico, Brazil | |||
27 février 2022 | An emergency special session of UNGA to … | Mexico, Brazil | |||
Assemblée Générale (Venezuela non-voting because of unpaid contribution to UN system) | |||||
2 mars 2022 (À/ES-11/L.1) |
Aggression against Ukraine | Antigua and Barbuda ; Argentina ; The Bahamas ; Barbados ; Belize ; Brazil ; Chile ; Colombia ; Costa Rica ; Dominica ; Ecuador ; Grenada ; Guatemala ; Honduras, Guyana ; Haiti ; Jamaica ; Mexico ; Panama ; Paraguay, Peru, Dominican Republic ; St. Kitts and Nevis ; St. Lucia ; Suriname ; Trinidad & Tobago ; Uruguay. | Bolivia, Cuba, El Salvador, Nicaragua | Venezuela | |
24 mars 2022 (A/RES/ES/-11/2) |
Humanitarian consequences of the aggression against Ukraine | Antigua and Barbuda ; Argentina ; The Bahamas ; Barbados ; Belize ; Brazil ; Chile ; Colombia ; Costa Rica ; Dominica ; Ecuador ; Grenada ; Guatemala ; Honduras, Guyana ; Haiti ; Jamaica ; Mexico ; Panama ; Paraguay, Peru, Dominican Republic ; St. Kitts and Nevis ; St. Lucia ; Suriname ; Trinidad & Tobago ; Uruguay. | Bolivia, Cuba, El Salvador, Nicaragua | Venezuela | |
7 avril 2022 (À/RES/ES-11/3) |
Suspending Russia’s membership in the UN-HCR | Antigua and Barbuda ; Argentina ; The Bahamas ; Chile ; Colombia ; Costa Rica ; Dominica ; Ecuador ; Grenada ; Guatemala ; Honduras, Guyana ; Haiti ; Jamaica ; Panama ; Paraguay, Peru, Dominican Republic ; St. Lucia ; Uruguay. | Bolivia, Cuba, Nicaragua | Belize, Brazil, Barbados, El Salvador, Mexico, San Kitts and Nevis, San Vincent and Grenadines, Suriname, Trinidad-and -Tobago | Venezuela |
12 octobre 2022 | Territorial integrity of Ukraine | Antigua and Barbuda ; Argentina ; The Bahamas ; Chile ; Colombia ; Costa Rica ; Dominica ; Ecuador ; Grenada ; Guatemala ; Honduras, Guyana ; Haiti ; Jamaica ; Panama ; Paraguay, Peru, Dominican Republic ; St. Lucia ; Uruguay. | Nicaragua | Bolivia, Cuba, Honduras | El Salvador, Venezuela |
14 novembre 2022 (A/ES/11/L.6) | Furtherance of remedy of reparation for aggression against Ukraine | Argentina ; Chile ; Colombia ; Costa Rica ; Dominica ; Ecuador ; Guatemala ; Mexico ; Panama ; Paraguay, Peru, Dominican Republic ; Uruguay. | Cuba, Nicaragua | Antigua and Barbuda ; The Bahamas ; Barbados ; Belize ; Bolivia Brazil ; El Salvador Grenada ; Guatemala ; Honduras, Guyana ; Haiti ; Jamaica ; St. Kitts and Nevis ; St. Lucia ; Suriname ; Trinidad & Tobago. | Venezuela |
Human Rights Council 8 seats for Latin American States over 47 HCR members | |||||
4 mars 2022 (RES/49/1) |
Situation of Human Rights in Ukraine stemming from Russia aggression | Argentina, Brazil, Honduras, Mexico, Paraguay | Bolivia, Cuba, Venezuela | ||
Organization of American States (OAS) | |||||
25 février 2022 (Permanent Council OAS) – session extraordinaire |
La situation en Ukraine | Antigua and Barbuda ; The Bahamas ; Barbados ; Belize ; Canada ; Chile ; Colombia ; Costa Rica ; Ecuador ; The United States ; Grenada ; Guatemala ; Guyana ; Haiti ; Jamaica ; Mexico ; Panama ; Paraguay, Peru, Dominican Republic ; Suriname ; Trinidad & Tobago ; Venezuela*. | Argentina, Brazil, Bolivia, El Salvador, Haïti, Nicaragua, Dominica, St. Kitts and Nevis ; St. Lucia ; Saint Vincent and the Grenadines, Uruguay | ||
25 mars 2022 (Permanent Council-OAS) |
The Crisis in Ukraine | Antigua and Barbuda ; Argentina ; The Bahamas ; Barbados ; Belize ; Canada ; Chile ; Colombia ; Costa Rica ; Dominica ; Ecuador ; The United States ; Grenada ; Guatemala ; Guyana ; Haiti ; Jamaica ; Mexico ; Panama ; Paraguay, Peru, Dominican Republic ; St. Kitts and Nevis ; St. Lucia ; Suriname ; Trinidad & Tobago ; Uruguay, Venezuela*. | Bolivia ; Brazil ; El Salvador ; Honduras ; Saint Vincent and the Grenadines. | Nicaragua |
Si ces positions traduisent une fragmentation importante au sein du continent, elles sont aussi révélatrices d’une fracture globale comme nous l’expliquions plus haut. Cette fragmentation a indéniablement été alimentée par la dislocation des blocs de coopération régionale et l’absence de leadership régional (notamment du Brésil sous la présidence de Jair Bolsonaro (2019-2022)). La fragmentation régionale et la divergence des positions sur le plan multilatéral sont bien souvent comprises, notamment par les États européens et nord-américains, comme une énième démonstration de la « périphérisation » du continent dans le jeu global. Pour autant, cette situation révèle une réalité plus riche.
En effet, les États latino-américains s’inscrivent dans une dynamique où le rapprochement avec la Chine et/ou la Russie se justifie par une stratégie de soft-balancing (rééquilibrage) de la puissance états-unienne dans le but de promouvoir leur autonomie. Cette stratégie a été manifeste pendant la pandémie, notamment pour accéder aux vaccins anti-Covid19. Pour autant, cette stratégie qui a produit des résultats en matière de régulation sanitaire pendant la pandémie s’avère aujourd’hui fortement stigmatisante et se retourne contre les États qui ont cherché à la développer. En Amérique latine, l’Argentine d’Alberto Fernandez s’est retrouvée prise dans ce dilemme. Après un rapprochement important avec la Russie pendant la pandémie, les deux pays ont poursuivi un dialogue politique dense. Le Président Fernandez a même été chaleureusement reçu (ce qui n’a pas été le cas d’autres leaders européens) par le Président Poutine à quelques semaines de l’invasion (3 février 2022). Face à ce dilemme, l’Argentine a dans un premier temps pris le soin de soigner les formules choisies, « déplorant » sans condamner « l’escalade belliqueuse » et évoquant la « situation en Ukraine » sans parler d’invasion ni agression. C’est en prenant la mesure de ce dilemme qu’on comprendra également le revirement de position du pays qui s’abstient lors du vote de la résolution de l’OEA, le 25 février, avant de finalement voter en faveur de la résolution de condamnation de l’AGNU, le 2 mars 2022. Les risques et conséquences d’une stigmatisation internationale forte avaient finalement eu raison des réserves initiales de l’Argentine.
Au-delà du seul cas argentin, d’autres grands États latino-américains comme le Brésil et le Mexique, tout comme d’autres États dits du Sud Global (notamment africains), se trouvent face à un dilemme similaire : ne pas condamner (la Russie) et s’exposer à une stigmatisation internationale ou condamner et se priver de ressources nécessaires à la consolidation d’une autonomie stratégique. Aussi, la position diplomatique ne découle plus tant d’un simple arbitrage des coûts et avantages de l’alignement – face aux États-Unis – que d’une évaluation stratégique des coûts-avantages d’une palette élargie de postures diplomatiques disponibles. Si l’échiquier diplomatique régional n’est désormais plus sous l’emprise d’une seule puissance, mais fait face à la présence d’une plus large palette d’acteurs extrarégionaux (Chine, Russie, Inde, etc.), cette nouvelle donne ouvre autant d’opportunités diplomatiques que d’incertitudes quant aux stratégies diplomatiques et au rôle que pourront jouer dans les années qui viennent les États du continent, d’autant plus lorsque ceux-ci avancent désunis et fragilisés par des crises multiples.
– Déclarations des Présidents latino-américains le 24 février 2022 (PDF)
par , le 24 janvier 2023
Références
– Albaret, M., Brun, É. (2022) “Dissenting at the United Nations : Interaction orders and Venezuelan contestation practices (2015–16)”, Review of International Studies, 48(3), 523-542
– Fortin C, Heine J, Ominami C (2020), “El no alineamiento activo : un camino para América Latina”, Nueva Sociedad, septembre 2020.
– Malacalza, Bernabé, Fagaburu, Debora. (2022). ¿Empatía o cálculo ? Un análisis crítico de la geopolítica de las vacunas en América Latina. Foro internacional, 62(1), 5-45.
– Parthenay, Kevin (2018). « Crise au Venezuela et déstabilisation du multilatéralisme latino-américain », IRSEM, Note de recherche 50.
– Parthenay Kevin (2020), Crises en Amérique latine. Les démocraties déracinées, Paris, Armand Colin.
– Parthenay Kevin (2022), “La diplomatie des vaccins anti-covid en Amérique latine et Caraïbe. Repenser la dichotomie dépendance versus autonomie », Annuaire français des Relations internationales, vol. 23, p. 332-362.
Sanahuja, José Antonio, Stefanoni, Pablo et Verdes-Montenegro Escanez, Francisco Javier (2022) América Latina frente al 24-F ucraniano : entre la tradición diplomática y las tensiones políticas. [Documento de trabajo ; nº 62, ISSN : 1885-9119 ]
– Schenoni, Andrés Malamud (2021), « Sobre la creciente irrelevancia de América Latina », Nueva Sociedad (NUSO) Nº 291, 66-79.
Kevin Parthenay, « L’Amérique latine face à la guerre russo-ukrainienne », La Vie des idées , 24 janvier 2023. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/L-Amerique-latine-face-a-la-guerre-russo-ukrainienne
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[1] Ici les différentes déclarations en date du 24 février 2022 sur les comptes twitter des présidents latino-américains ont été consultées (voir Annexe 1).
[2] Voir l’article de Mélanie Albaret et Elodie Brun qui développe cet argument en étudiant la variété des stratégies diplomatiques du Venezuela entre le CSNU et l’AGNU, Albaret et Brun 2022.